Non ou la vaine gloire du commander / Non, ou A Vã Glória de Mandar

de Manoel de Oliveira

(Fiction, Portugal/Espagne/France, 1990, 112’, C, VOSTF)

avec Luis Miguel Cintra, Diogo Doria, Luis Lucas

Non ou la vaine gloire du commander

Un camion chargé de soldats portugais cahote sur une piste à travers la jungle. Les soldats parlent : de la guerre, celle qu’ils font en Angola en 1974, de son sens, du patriotisme, de la peur, de leur mélancolie, la « saudade ». Le lieutenant mène le récit. Dans ce film, Oliveira revient sur l’histoire coloniale du Portugal, du XVIIème siècle jusqu’à la Révolution des Œillets, en posant les questions de la vanité du pouvoir et de l’utilité de la guerre…


« Le projet de Manoel de Oliveira se propose de questionner l’histoire de l’imaginaire portugais et de ses représentations tout autant que l’histoire factuelle en s’interrogeant sur la façon dont chaque époque se fabrique sa représentation du passé. Dans cette perspective, ses sources ne pouvaient se limiter à ce qui constitue traditionnellement le terreau de la recherche historique. La littérature, la poésie, mais aussi l’iconographie, sont donc autant de germes utilisés en amont, lors de l’élaboration du film, mais également visibles à l’intérieur de celui-ci. NON ou la Vaine gloire de commander offre ainsi des reconstructions d’époques dites historiques, c’est-à-dire des périodes du passé consignées quelque part : une chronique antique (Viriathe) ou médiévale (la bataille de Toro) ; une épopée en vers (Les Lusiades et l’île des amours) ; une enluminure (le mariage et les funérailles du prince) ; une pièce de théâtre (Frei Luis de Souza d’Almeida Garret pour la séquence crépusculaire après la bataille d’El Ksar el-Kébir), un sermon (celui du NON d’Antonio Vieira déclamé dans cette même séquence), etc. Cette multiplicité profile une des caractéristiques principales du projet : ériger des transversales narratives complètement imaginaires mais néanmoins porteuses d’intelligibilité historique. » L’art du cinéma n°21/22/23 – Manoel de Oliveira, p.110-111.

« Pour Non, je n’ai pas fait appel à un chroniqueur unique, mais j’ai cherché ce qu’il pouvait y avoir de commun chez tous les chroniqueurs que j’ai lus. D’autre part, j’ai eu recours à différents écrivains qui étaient en situation d’invention et imagination par rapport à ces périodes de l’Histoire, et les ai suivis parce que je crois que la fiction est complémentaire de l’historique… » Manoel de Oliveira dans “Le ciel est historique”, propos recueillis par Serge Daney et Raymond Bellour, présentés par Philippe Tancelin, Chimères, hiver 1991-92, n°14, p.139.

« Le moment paroxystique du film d’Oliveira, celui qui constitue l’axe rotatif autour duquel se meuvent à la fois la fiction et la dynamique directionnelle de l’espace-temps où celle-ci se dilate, est la représentation de la bataille qui eut lieu le 4 août 1578 à El Ksar el-Kébir au Maroc – dite Bataille des trois rois. Toute cette séquence gravite autour d’un noyau, incarné par la figure tragique de Dom Sébastien. Ici se joue une forme de tragédie, saisissable à partir d’une analyse du rapport entre le temps collectif et le temps individuel. C’est une tragédie collective, bien sûr, mais c’est à travers son inscription singulière, son accomplissement personnel, cristallisé dans le personnage de Dom Sébastien et dans le conflit de niveau entre lui et le monde qui l’entoure, que Manoel de Oliveira nous propose d’en saisir la marque. » L’art du cinéma n°21/22/23 – Manoel de Oliveira, p.115.

Trailer du film

Manoel de Oliveira
Manoel de Oliveira

Manoel de Oliveira est né en 1908 à Porto, ville à laquelle il reste fidèle toute sa vie. Son film Porto de mon enfance (2001) en est la meilleure illustration. Il fait ses études secondaires en Galice dans un collège tenu par des jésuites, réfugiés portugais en Espagne, après leur expulsion par la République instaurée en 1910. Il évoque cette période dans Voyage au début du monde (1997). Ensuite, il travaille dans l’usine textile paternelle et dans l’entretien des vignobles familiaux. Il débute dans le cinéma en 1931 avec un court métrage documentaire d’avant-garde, Douro Faina Fluvial, qui saura attirer l’attention du critique français Emile Vuillermoz, qui encourage vivement Oliveira à poursuivre une carrière cinématographique. Or, champion du Portugal de saut à la perche et coureur automobile, Oliveira est un homme à multiples facettes, qui consacre une grande partie de son temps à la gestion des affaires familiales. Il signe encore quelques films documentaires à format court dans les années 1930 jusqu’à ce qu’il parvienne à réaliser son premier long métrage de fiction, Aniki Bóbó, en 1942. Le film n’est pas très bien reçu à l’époque, mais est reconnu avec le temps comme un grand classique du cinéma portugais, anticipant sous plusieurs aspects le Néoréalisme italien. Plus de vingt ans plus tard, il réalise son deuxième long, Acte du printemps (1963). Ce n’est qu’à partir des années 1970, après la fin de la censure salazariste, qu’il enchaîne les films à un rythme soutenu : Le Passé et le présent (1972), Amour de perdition (1979), Le Soulier de satin (1985), La Divine Comédie (1991), Le Couvent (1995), Inquiétude (1998), ou encore Belle toujours (2006). Il reçoit de nombreux prix tout au long de sa carrière, dont le Lion d’or pour l’ensemble de l’œuvre en 1985 à Venise, le Prix de l’Âge d’or en 1985 et 1988, le Globo de Ouro portugais pour meilleure réalisation à trois reprises et la Palme d’honneur à Cannes en 2008. Il s’éteint en 2015, laissant derrière lui plus de cinquante films.

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